**CHOC** JazzMagazine/Jazzman par Stéphane Ollivier (novembre 2012)



Du soliste pieusement accompagné à l’égalitarisme rigoriste et intégral des voix, toute la gamme des nuances a déjà sans doute été explorée dans l’art de faire de la musique à trois avec un piano, une contrebasse et une batterie. Ce n’est pas le moindre des talents d’Eve Risser, Benjamin Duboc et Edward Perraud que de parvenir à proposer une approche de la formule, sinon radicalement neuve dans ses principes, au moins suffisamment incarnée et audacieuse dans ses intentions, pour saisir l’auditeur et le persuader d’avoir affaire ici moins à une variation formelle de plus, aussi savante soit-elle, qu’à un véritable désir collectif de musique « prenant corps » de façon particulièrement intense dans l’instant du jeu. La sensation troublante qui d’abord s’impose est celle d’un discours s’organisant de façon quasi structurelle autour d’un effacement du piano, ou tout au moins d’une présence en creux. L’instrument, « préparé », participe principalement de l’entrelacs du tissu rythmique complexe avant de peu à peu faire entendre sa voix en grappes de notes perlées lapidaires et carillonnantes, persistant tout d long dans cette sorte de minimalisme répétitif et obstiné, autour de quoi le groupe donne l’impression de produire son propre espace en une sorte de spirale en expansion continue. Transformé en un vaste corps pulsatif, le trio développe alors, en de longues séquences fondées sur des montées en puissance progressives et irrésistibles, une grande richesse de couleurs, de rythmes, de flux d’énergie, sans pour autant donner jamais l’impression de saturer l’espace par accumulation d’affects trop intimes pour être partagés. Car, même si le discours collectif se développe en partie par vagues de décharges pulsionnelles, jamais l’auditeur ne se trouve placé en position de passivité face à un déferlement expressif cathartique qui lui demeurerait étranger. Cette musique de joie génère une véritable ivresse des sens et, partant, une étrange et paradoxale douceur. « En Corps » sonne finalement comme un véritable hymne païen à la vie. C’est peut-être là sa principale vertu.

 

 

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