Laurent Dussutour // ★ÉLU★ Citizen Jazz (10 janvier 2021)

Vendredi 24 juillet 1998. Dans la chaleur étouffante de l’été californien, le pianiste Horace Tapscott convoque une pénultième fois son « Pan Afrikan Peoples Arkestra » et le chœur « Great Voice of UGMAA » (la Grande Voix de l’Union des Musiciens de Dieu et de l’Ascension des Artistes !) pour une performance dans un musée de L.A. Cette légende cachée du jazz californien se plaît à faire de son orchestre une agora musicale émancipatrice. Tournant le dos aux sirènes du West-Coast qui lui tendaient les bras, Tapscott s’est érigé en héraut de sa communauté de Leimert Park, dont émergera notamment Kamasi Washington. L’Arkestra répétait à l’origine au rez-de-chaussée d’un immeuble dont le premier étage servait de local au Black Panther Party où frayait, entre autres, Angela Davis quand elle fuyait les flics. Il était tombé en déliquescence et devait être relancé à la suite des émeutes qui suivirent la mort de Rodney King.

Avocat musical des communautés afro-américaines particulièrement opprimées dans une métropole déshumanisante, Tapscott, malade du cancer, a encore la force de fédérer les énergies locales, poussé ici par trois contrebassistes (il voulait du lourd pour asséner son message), déroulant des soli délicats sur fond de boucles lancinantes. Le piano du non-leader se fait évanescent, quand il ne se fait pas percussif. Spirituel ? C’est peu dire. Les vents déploient des trésors d’énergie sur fond de vamps poussés par les percussions et le batteur, en particulier le bien nommé sax ténor Michael Session, dont le chorus coltranien se fait ravageur sur le premier titre, suivi par un trombone en folie. Le percussionniste nigérian, qui avait gagné les rivages pacifiques dans les années quatre-vingts, voyait dans le pianiste comme un cousin éloigné de Fela, à qui un titre est dédié : mêmes préoccupations communautaires locales avec pour horizon l’universel Black.
Le chœur, conduit par le plus coltranien des chanteurs, Dwight Trible (son chant plaintif fait des merveilles sur un « Caravan » désossé et paradoxalement d’autant plus accessible), rassemble des volontaires du quartier des deux sexes, et appuie la force revendicatrice du tout, notamment sur « Little Africa », conçu à partir de l’hymne officieux de l’Amérique noire, « Lift Every Voice and Sing ».

Un émouvant témoignage d’un jazz d’éducation populaire, mettant l’art au service de l’émancipation collective, rendu accessible grâce au très beau travail éditorial du label Dark Tree. Le livret, rédigé par le biographe de Tapscott, est passionnant. Plus, l’excellence du travail de remasterisation nous projette au sein du public. On a envie de dire qu’on en était.
Horace Tapscott décédait au mois de février suivant, à l’âge de soixante-quatre ans. Dwight Trible et Michael Session rassemblent l’Arkestra de temps en temps pour des performances commémoratives et résolument afro-futuristes.

 

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