Chronique par Julien Gros-Burdet sur CitizenJazz (8 octobre 2012)

Pour sa deuxième production, Dark Tree, jeune label né en 2011, frappe une nouvelle fois très fort. Après l’excellent Pourtant les cimes des arbres signé Daunik Lazro, Benjamin Duboc et Didier Lasserre, voici En corps, premier disque d’un autre trio composé d’Ève Risser, Edward Perraud et Benjamin Duboc.

On pénètre dans En corps comme dans une forêt automnale après la pluie : découvrir l’environnement, se faire à ce nouvel espace, puis se laisser prendre par ses sens. L’odeur du sol humide, le bruissement des feuilles sous les pas, la vue troublée par la brume, les écorces d’arbres râpeuses. « Trans », qui s’étire sur plus d’une demi-heure, pourrait être cette promenade en forêt, les sens aux aguets. La musique s’installe et le cerveau prend la mesure de ce qui se trame, trouve ses repères, comprend l’(en)jeu. « Trans », c’est une musique sous tension perpétuelle où l’esprit de l’auditeur est rapidement emporté, secoué, brinquebalé, mais toujours stimulé. « Trans », c’est la transversalité du trio : on est loin ici du format piano/contrebasse/batterie classique. Les trois musiciens forment un tout organique, mouvant, vivant, interdépendant et en interactions nourrissantes. Ça gratte, ça griffe, ça cogne… Craquements, chuchotis. Il faut écouter la musique prendre forme(s). Mais « Trans », c’est aussi la transe générée par ce jeu sans relâchements, en mouvement continu, ponctué de soubresauts, empli de surprises, avec d’étonnants pics de tension. De ces trente-quatre minutes sous l’emprise totale de l’œuvre construite par ces trois formidables musiciens entremêlant leurs lignes et entrechoquant leurs propos – à tel point qu’il est parfois difficile de savoir quel instrument émet quel son ! – on ressort conquis, ne demandant qu’à prolonger l’aventure – car c’est bien d’aventure qu’il est question.

Et ça tombe bien car on enchaîne avec « Chant d’entre », peut-être plus lyrique, proche du… chant, avec une dramaturgie parfaitement construite. Le titre, une nouvelle fois, n’est pas dû au hasard, il éclaire le propos : le chant, donc. Plus « entre », bien sûr, car comme pour « Trans », tout se tisse à trois. Mais ce « Chant d’entre » pourrait être un Sang d’encre, fluide qui fait vibrer, gargouille, nourrit et oxygène le corps et les idées. Tout cela porté par les percussions protéiformes, démultipliées et puissantes de Perraud, la contrebasse tout terrain de Duboc, véritable cœur du trio, et le piano espiègle et curieux de tout d’Ève Risser, dont l’économie de moyens – chapelets de notes répétés à l’envie, blocs d’accords martelant l’esprit, sons hallucinants puisés au tréfonds du piano – est une véritable leçon de musicalité.

Une aventure musicale captivante et sensuelle, dont on sort comme l’on remonterait à la surface après une expédition souterraine. Avec une seule envie, y retourner dans l’instant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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