Guy Sitruk (February 19, 2024)

Daunik Lazro se permet de faire ici du Ayler d’une manière superlative. Le « Ghosts » est ici étiré, essoré, torturé pour en extraire les dernières gouttes d’un lyrisme que n’aurait pas renié le divin Albert. Pour ce faire, il dérive des seuls accents d’antan pour aller fourrager dans les sonorités actuelles les plus exigeantes. Il récidive avec « Mothers », dans un discours à l’expressivité exacerbée, décomplexée.
Ainsi, ce trio va à l’essentiel. Il distille ce qu’il doit aux défricheurs d’alors. Et l’alcool extrait est fort, raide même.
Le « Deadline » est présenté du bout de l’anche, avec pudeur, des friselis, de douces mitrailles, un archet élégiaque : un Lacy tout de retenue. Un autre hommage lui est rendu dans un composition de Lazro. Encore une fois, la sensibilité au bord des lèvres, magnifiée par l’archet de Benjamin Duboc et constellée par les frappes de Mathieu Bec. Mais ça dérape, ça grince, ça s’éraille, la douceur se déchire et laisse place aux cris … silence, puis elle revient. Un trio magique.
Daunik Lazro rend aussi hommage à Wayne Shorter, qu’on trouvera dans le lien ci-dessous, et à Coltrane.
Une cavalcade introductive à la batterie qui rappelle les danses festives du tournant des années 60-70. « Vigil » est ainsi propulsé. Le chant s’élève, la ferveur, la transe arrivent, sans les tourments coltraniens. Un concentré de plaisirs.
« Pourtant les cimes » et « Sens radiants », avec les mêmes Lazro et Duboc, plus le trop rare Didier Lasserre, avaient ancré le label DarkTree aux cimes, justement, de la création sans concession, hors du blues (du moins pour le souvenir que j’en garde). Mais la tentation d’une connexion à l’histoire du jazz était déjà présente, par exemple lors d’un concert aux Instants Chavirés (2012). Et puis, Daunik Lazro aime à citer ses grands maîtres. L’arrivée de Mathieu Bec, lui-même très tenté de parcourir un temps les sentiers d’Elvin Jones ou d’Ed Blackwell, a probablement permis de retrouver ce chaudron. Quant à Benjamin Duboc, il sait jouer de sa singularité de soliste et d’accompagnateur, de mélodiste et de défricheur, toujours dans la distillation de la sensibilité de l’instant.
Ne pas bouder de tels plaisirs.

 

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