Chronique par Jean-Michel Van Schouwburg sur Orynx (20 janvier 2018)

Dark Tree publie des albums fignolés et passionnants au compte-goutte. Ce Wind Quartet de Vinny Golia est le deuxième album d’archives de concert mettant en valeur John Carter et Bobby Bradford. Le NoU Turn Live In Pasadena 1975 de leur Quintet publié en 2015 dans la Roots Series de Dark Tree est un de leurs deux meilleurs albums (avec Tandem /John Carter & Bradford duo – Emanem 2CD). Nous sommes alors en 1979 dans une phase créative du jazz contemporain d’alors. La première vague du free jazz des années 60 a remis en question le rythme, l’harmonie et le rôle des instruments dans le groupe avec Cecil Taylor, Sunny Murray, Albert Ayler etc… S’ensuit l’éclatement du combo conventionnel  « souffleurs – piano – basse – batterie » : les musiciens les plus avancés et audacieux explorent les formes en solitaire comme Barre Philips et son Journal Violone (Music Man 1968) . Anthony Braxton joue et enregistre en solo « absolu » (For Alto 1968)  au saxophone alto suivi par Steve Lacy et Roscoe Mitchell, Paul Rutherford et Albert Mangeldorff au trombone, Evan Parker et Lol Coxhill. Ou en duo : Albert Mangelsdorff and Friends (MPS). Duos de souffleurs : Marion Brown et Leo Smith, Joseph Bowie et Oliver Lake, Anthony Braxton et George Lewis. Des guitaristes d’avant garde explorent leurs instruments en solo : Derek Bailey, Hans Reichel, Eugene Chadbourne, Roger Smith etc… ou en duo : Bailey avec Evan Parker et Braxton ou le batteur Han Bennink. Percussionnistes en solo : Bennink, Andrew Cyrille, Tony Oxley. Duos de contrebasses de Barre Phillips et Dave Holland ou Beb Guérin et François Méchali. Sam Rivers enregistre en duo avec David Holland (IAI), Lester Bowie en duo avec Philip Wilson (Duets IAI),  Steve Lacy avec Andrea Centazzo, Jimmy Giuffre avec Paul Bley et Bill Connors. Bien sûr les échanges exponentiels de la Company de Derek Bailey. Mais aussi le World Saxophone Quartet (Hemphill Lake Murray Bluiett) et le Rova Sax Quartet. Le panorama sonore et musical des Creative et/ou Free Improvised Musics s’agrandit et s’enrichit et fascine musiciens et auditeurs, prolongeant le travail pionnier de Jimmy Giuffre avec ses trios sans batterie. C’est dans ce contexte d’intense renouvellement de formes et de conceptions musciales qu’il faut appréhender ce magnifique Vinny Golia Wind Quartet, interprétant et improvisant les remarquables compositions du souffleur multi-instrumentiste. Les notes bien documentées de Mark Weber retracent le parcours de ce peintre connu pour ses pochettes (Dave Holland/Barre Phillips, Joe Henderson) et qui faisait jouer des improvisateurs lors de ses expositions en interaction avec ses tableaux et leur dynamique dans l’espace. Vinny Golia apprit à maîtriser les différentes flûtes, clarinettes et saxophones, car il eut à apporter fréquemment une couleur supplémentaire dans plusieurs orchestres avec un piccolo, un sax sopranino, une clarinette basse ou un baryton, etc… En un temps record, il est devenu un excellent instrumentiste capable de jouer l’ensemble des woodwinds avec un professionnalisme impressionnant, une justesse et une agilité surprenantes. À défaut peut-être d’acquérir une voix très originale à l’instar des Ornette, Braxton, Roscoe Mitchell, Steve Lacy, John Carter ou Evan Parker. Mais ce qui compte surtout dans son travail, c’est l’excellence et la diversité sonore de ses orchestres et compositions pour improvisateurs. Et dans ce domaine, Vinny Golia est un artiste exceptionnel. Pour preuve, ce merveilleux quartet : Bobby Bradford au cornet, John Carter à la clarinette, Glenn Ferris au trombone et lui-même  aux différentes anches et flûtes selon les morceaux : #2 : flûte en Do et sax baryton, Views : sax baryton, Chronos I : piccolo et clarinette basse, Chronos II : clarinette basse et  flûte alto, Victims : flûte alto. Musique de chambre mouvante pour instruments à vents dans laquelle une remarquable variété de mouvements et d’événements sonores, de thèmes complexes et d’improvisations simultanées des « solistes » autant mélodiques que texturales empruntant des voies parallèles, s’enchaînant avec aisance et une extraordinaire lisibilité, avec passages en solitaire, duos … élégiaques, enlevés, sereins, enfiévrés, introvertis, expressifs, … Une West Coast évoquant les expériences de Shorty Rogers et Jimmy Giuffre dans une dimension nouvelle, libérée, évitant cliché, routine et cette linéarité lassante et prévisible de la succession des thèmes, solos, breaks et codas qui ont fait préférer l’improvisation libre radicale aux sessions free cadrées du label Black Saint avec souffleurs, basse, batterie à une génération de mordus du free-jazz. Dark Tree n’a pas tort de produire des albums de ce genre seulement tous les deux ans : Wind Quartet peut être écouté et réécouté à plusieurs reprises, car il recèle une multitude de moments précieux et des recoins qu’on est surpris de découvrir à chaque audition. Un album en tout point remarquable et sûrement un point fort de la discographie de chacun des artistes.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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