Chroniques V1

PRESSE / WEB

**CHOC** JazzMagazine/Jazzman par Stéphane Ollivier (novembre 2011)



Alors que l’industrie du disque agonise et que le formatage médiatique relègue ce qu’elle ne sait assimiler à la marge des marges, il y a probablement quelque paradoxe à voir fleurir ainsi sur le marché français des labels entièrement consacrés à la musique improvisée, multipliant les références d’artistes aussi exigeants qu’ultra-confidentiels. Dans le sillage de glorieux aînés comme In Situ et Potlatch et à l’instar d’Ayler Records ou Improvising Beings, c’est au tour de Dark Tree de se lancer dans cette guérilla militante en publiant avec « Pourtant les cimes des arbres » du trio Daunik Lazro, Benjamin Duboc et Didier Lasserre, un premier disque absolument extraordinaire d’intensité langagière et émotionnelle. Figure phare de l’improvisation libre européenne depuis le tournant des années 70, Lazro n’a jamais transigé sur son désir de liberté ni dévié de sa ligne esthétique privilégiant la spontanéité du chant. Saxophoniste rugueux puissamment marqué par l’expérience afro-américaine et son expression lyrique la plus radicale (Albert Ayler demeure la pierre de touche de sa poétique), il engage ici une intense conversation avec Duboc et Lasserre, musiciens emblématiques de cette génération qui dans les années 90 sut prendre la relève des grands pionniers pour ouvrir de nouvelles voies dans une exploration très poussées des timbres. Jeux de tessitures, variations d’humeurs, rythmes et flux pulsionnels se conjuguent en un hymne joyeux et douloureux au temps qui passe.

 

 

 

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Indispensable !!! Jazz News par Thierry Lepin (décembre 2011)

 

 

 

 

Une patiente exploration du son, du rythme intérieur, de l’espace de jeu. Avec Some Other Zongs, recueil de pièces enregistrées dans une collégiale et une église, Daunik Lazro revient au solo, dix ans après Zong Book. Un exercice d’équilibriste sur l’improvisation libre, savamment réfléchi. Lignes tendues, jeu sur la colonne d’air et le flux plutôt que sur le phrasé, travail sur la richesse du timbre jusque dans les aspérités… Le saxophoniste baryton prend le parti d’une forme d’ascèse, avec, en mémoire, toute l’intensité d’un parcours à explorer l’instrument hors de tout balisage. C’est de ce regard introspectif que se nourrit le trio de Pourtant les cimes des arbres, avec le contrebassiste Benjamin Duboc et le batteur Didier Lasserre (souvent associés, notamment avec Abdelhaï Bennani). Une rencontre inédite qui sonne comme une évidence. La tension est latente, l’énergie tout en retenue lorsqu’il s’agit de révéler, pas à pas, le terrain fertile choisi : dans une certaine épure – écoute et accueil du silence -, les trois ne cessent d’explorer la matière sonore, embarquant l’auditeur dans un fascinant processus rituel. Deux albums exemplaires d’exigence et de simplicité, parmi les plus magistraux signés par Daunik Lazro.

 

 

Chronique par Bernard Loupias dans Le Nouvel Observateur (du 24 au 30 novembre 2011)
Où, loin du jazz « majoritaire », le saxophoniste Daunik Lazro (ici au baryton), resté fidèle à la poétique aylerienne et à son désir de « vision », rencontre la merveilleuse « paire » rythmique Benjamin Duboc (cb) – Didier Lasserre (dms, cofondateur du précieux label Amor Fati), déjà entendue notamment avec le pianiste Jobic Le Masson. Un trio qui donne à écouter une autre musique : éloge de la sensation, du presque rien, de l’effleurement, de la vibration pure. Sous un titre parfait, tiré d’un haïku de Basho (1644-1694).

 

 

Chronique par Joël Pagier dans ImproJazz (novembre-décembre 2011)
Dès les premières secondes, la musique est là, ratifiée d’une indubitable signature. Cette identité immédiate, qui devrait définir toute forme d’art et que l’on croise pourtant si rarement, s’impose à notre écoute avec d’autant plus d’évidence que nous sommes ici en présence d’un trio nouveau-né dont chaque membre ne vient sans doute pas d’acheter son premier instrument, mais qui vit bel et bien sa première rencontre. Ainsi ces cymbales glacées, obstinément rayées par je ne sais quel objet métallique, ne peuvent l’être que par Didier Lasserre qui démontre une nouvelle fois la singularité de sa pratique. Ce grondement sourd, arraché peut-être au cordier de la basse, nous renvoie aussitôt aux « Pièces pour contrebasse et tuyaux » de Benjamin Duboc. Ce souffle venteux venu de montagnes lointaines et qui s’enfle jusqu’à la déchirure du paysage porte, comme un tatouage indélébile, la marque brûlante de Daunik Lazro.

Un trio inédit à la maturité exemplaire, qui n’échange pas, comme on dit, quelques notes susceptibles de fixer un jour, dans un quelconque fichier, la fugacité de l’instant, mais œuvre de façon artisanale à la fabrication amoureuse d’un objet destiné à la pérennité de l’écoute. Les trois hommes sont entrés en studio pour faire un disque. C’est-à-dire qu’avec la complicité de Bertrand Gastaut, à l’origine du label Dark Tree dont « Pourtant les cimes des arbres » demeure, à l’heure actuelle, la première et unique référence, ils ont envisagé leurs rapports et l’esprit de leurs improvisations comme un triangle parfaitement équilatéral élaborant une forme de composition instantanée mais définitive, un ouvrage inscrit dans la durée, mais ne reposant sur aucune idée préconçue. La spontanéité des échanges ne souffre d’ailleurs jamais de cette volonté de construction puisque rien n’a été établi sur le plan des rythmes, des tonalités ni des harmonies et que les vibrations animant les instruments obéissent toujours à la seule loi de l’instant tel qu’il est ressenti par  chacun et circule entre tous. De fait, ce qui lie les trois musiciens dans cette esthétique collective maîtrisée de haute main relèverait plutôt d’une poétique générale, voire d’une concentration commune focalisée sur les mêmes lignes d’une composition picturale autour de laquelle évolue librement l’imaginaire de chacun.

La charpente de l’album est si nette dans le mouvement des couleurs, des ambiances et des paysages, dans l’équilibre des prises de parole comme dans la perfection des focales successives isolant tel ou tel instrument qu’il semble presque possible d’en retrouver, à l’oreille, la partition originale qui, bien sûr, n’exista jamais, le tableau abstrait à partir duquel le trio put bâtir sa structure. Et pourtant, aucun des protagonistes n’a jamais su ni voulu faire abstraction de sa personnalité propre. Au jeu stupide du blindfold test, ces trois-là sont de véritables jokers identifiables en quelques sons, notamment dans l’esthétique qui est ici la leur, basée sur la lente oscillation entre la forme et le fond, l’évidence des textures et la singularité des voix, la puissance de la construction et l’imparable charge émotionnelle de l’expression… Sur ses chemins aux balises invisibles, le trio nous conduit sans peine de clairs-obscurs en fulgurances lumineuses, de calmes apparents en colères farouches, de magmas organiques en jaillissements de vie.

Un premier opus tombé de l’Arbre Sombre et qui augure, par sa réelle qualité, de bien belles floraisons…

 

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Chronique par Luc Bouquet dans ImproJazz (novembre-décembre 2011)
« Qui n’a pas rêvé d’un monde, qui au lieu de commencer avec la parole, débuterait avec les intentions ? » (René Char).

Un monde d’avant les échardes. Quand le cri n’était pas cri. Quand le chuchotement ne savait pas qu’il se nommait chuchotement. Un monde d’avant les éclats, les obus et les ruptures. Un monde qui n’avait pas peur des insomnies et des crises. Un monde sans guide et sans messie. Mais un monde d’esprits. Et d’intentions.
Ce que font ici Daunik Lazro, Benjamin Duboc et Didier Lasserre n’a besoin que de très peu de mots d’explication puisque le délestage est inscrit dans la chair de leur musique et qu’il est impossible de passer à côté. Ainsi, ensemble, écouter et partager (l’impression, ici, de partager réellement cette musique avec ceux qui la créent) cet horizon de fluidité et d’intimité. Ne pas analyser mais se laisser porter. C’est si facile pour ceux qui le peuvent encore.
Musique des origines ou musique d’après les chaos, elle entrouvre au bonheur.

 

 

Chronique par Julien Gros-Burdet sur Citizen Jazz (21 novembre 2011)

Première production du label Dark Tree, sous l’égide de Bertrand Gastaut, qui est également à l’origine de jazz@home, et première réussite, Pourtant les cimes des arbres, en associant Daunik Lazro aux compères Didier Lasserre/Benjamin Duboc est une œuvre improvisée autour d’un haïku de Bashô, un des maîtres du genre.

Ici on se délecte du moindre son, du moindre crissement comme on goûte, dans un haïku, chaque mot, chaque syllabe. Cette musique ouvre la porte à l’imaginaire et dévoile une nature secrète : on peut imaginer un oiseau ici, là une allure – quelques pas, un feuillage dans le vent. C’est aussi une musique d’ascète, où l’on se contente de peu mais où ce peu est exploité totalement, jusqu’à la plus petite vibration. A la fois mystérieuse en ce qu’elle laisse l’auditeur faire son chemin et évocatrice de par sa faculté de faire apparaître ce qui se cache, l’œuvre de Lasserre, Duboc et Lazro n’en reste pas moins indescriptible tant elle apparaît comme profondément subjective. Laissant une large place aux feulements, aux glissements, aux mouvements lents, elle s’élève et se dissout dans une nature nocturne réceptive pour mieux se réincarner dans le souffle habité du saxophone baryton, dans les cordes triturées – frottées, grattées, caressées, cognées – de la contrebasse, dans le scintillement des cymbales et l’envoûtante caisse claire.

La beauté des timbres nés de ces trois fortes personnalités donne vie à une créature musicale qu’il faut suivre sans crainte de se perdre, les yeux fermés, comme dans un rêve. Et se réveiller avec le déluge sonore de « Retiennent la pluie »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chronique ***** et sélectionné dans les disques du mois par Stef Gijssels sur Free Jazz (3 décembre 2011)

« Une lune vive
Pourtant les cimes des arbres
Retiennent la pluie »

« The moon passes quickly
Treetops are still holding
The rain »

« Tsuki hayashi 
kozue ha ame 
wo mochinagara »

Bashō (1644-1694)

I am not sure whether the French or English translation do credit to Japanese haiku master Bashō’s original verse, yet the music on this fantastic album by the French trio Daunik Lazro on baritone saxophone, Benjamin Duboc on bass and Didier Lasserre on snare drums and cymbals manage to evocate the short poem’s wonderful power.

All three musicians understand the power of restraint, the value of  less-is-more to create depth and tension and beauty, and they also manage to play in a very natural way, in the most literal sense, to sound like something organic, like wind and rain and the unidentifiable rustling of leaves and maybe even the sound of clouds, barely audible as the moon races past them.

What they do even better, is to understand the magic of the paradox that lies at the heart of zen but also at the heart of all great art. As the moon passes quickly, the tree remains fixed, protecting the little rain drops from falling – movement and motionlessness, fragility and strength, light and darkness, and then the incredible use of the word « pourtant« , in English translated as « still« , not the same meaning and I think the French is stronger, at the same time disjointing nature’s logic, as if the moon’s speed can have a causal effect on trees.

The music is like the haiku – sounds arise out of nothing, and the trio shapes something light and fragile on the spot, something fleating and evasive, using their instruments like extensions of nature, as the physical items they are, creating a sparsely filled canvas, a sonic representation of the vivid imagery of the poem. The first three pieces are « Une Lune Vive », « Pourtant », and « Les Cimes Des Arbres » and they are the most abstract, undefined, conflicting, but then the last track « Retiennent La Pluie » changes approach, for the more protective slow moving elegy of baritone aesthetics, bluesy and deep and moving, full of power, subtle and sensitive, soft and unleashing all the built-up tension at the same time for a new perspective, as the last line of the haiku should be.

A major achievement.

 

 

Chronique par Stuart Broomer sur Point of Departure (décembre 2011)
The French saxophonist Daunik Lazro is one of his instrument’s great explorers, but in North America he is a significantly under-known musician. First recording with bassist Saheb Sarbib in the 1970s, Lazro has roots deep in free jazz, though his associations in succeeding decades have generally been further into the terrain of free improvisation. He has had particularly fruitful, long-running musical associations with Jőelle Léandre and Carlos Zingaro, and in 1995 toured and recorded in a trio with Joe McPhee and Evan Parker, company to which he is perfectly suited. These two recent CDs, with Lazro in solo and trio contexts, present him as a dedicated baritone saxophonist, mining the instrument’s resonance with a rare profundity.

One is free to associate Lazro with his roots or his explorations. He begins the solo CD Some Other Zongs with the only composition to be found on either of these recordings, Joe McPhee’s “Le Vieux Carré.” It’s a deep blues that reaches well past McPhee and the usual free jazz sources to go directly to Harry Carney (that primordial circular breather whose 100th anniversary on April 1, 2010, occurred just a few days prior to the recording), the grain of Lazro’s sound initially almost as warm and pure as Carney’s own before Lazro gradually attenuates it to include some harsher timbres and some multiphonics as well. The remarkable “Caverne de Platon” can invoke a very different baritone saxophonist, Werner Ludi recording himself inside the Lucendro dam. Lazro is a genius of sonics, attenuating high and low multiphonics as layers of pitch appear and disappear in his extended notes (as a sonic baritone saxophonist, Mats Gustafsson may be his closest kin for the sheer life in the airy spray of harmonics). Each of the succeeding “Zongs” develops its own character: “Zong at Saint-Merry 3” might suggest a pod of whales; the broad-ranging “Zong 4” hints at a baritone shakuhachi (ringing in the Grand Canyon).

Listening to Lazro play in a group can suggest his role is akin to architecture or land-form. Huge notes appear and reside in space, as timeless and immovable as boulders, sonic events which other sounds wash against and across. His strengths in group play are heard to fine effect on Pourtant les cimes des arbres, the distinguished debut release for French label Dark Tree. The trio includes a regular Lazro collaborator, drummer Didier Lasserre, who in turn has often formed a rhythm section with the bassist, Benjamin Duboc. The titles of the four pieces together form a translation of a haiku by Bashō: Un lune vive, pourtant, les cimes des arbres, retiennent la pluie. Like Bashō’s works there are both struggles toward authentic meaning and moments of sudden illumination. Despite a certain appearance of convention, the trio often focuses on timbre. Drones and percussive elements arise from all three musicians in a way that gives the group a special unity and a kind of orchestral breadth of sound. The long opener, “Une lune vive,” is a work of brilliant three-way improvisation in which the trio’s evolving shapes seem to issue from a single collective mind: the piece begins in such quiet that the sounds of brushes on snare, bow on strings and air through baritone virtually merge. Deliberate pauses arise naturally as the piece ranges through high bowed harmonics on the bass, bass rumblings from Lazro’s baritone, and scraped and bowed cymbals (Lasserre’s kit consists of just snare drum and cymbals). By contrast, the relatively brief “Pourtant” is a tumult of energy, with the sudden abrasive squeals, mouthpiece plosives and gritty multiphonics of the baritone pressed through discordant bowed bass and rhythmically scraped cymbals. The concluding “Retiennent la pluie” virtually reverses the journey of Zongs from linear convention to sonic abstraction: here the trio concludes with a slow near-minor melody for baritone framed by regular bass double-stops, another demonstration of Lazro’s compelling mastery of a blues-based oratory, suddenly breaking into assertive high-pitched wails and bass blasts as he proceeds. Whether he’s alone or in well-chosen company, Lazro is a special improviser, with a unique identity.

 

 

Chronique par Dan Warburton sur Paris Transatlantic (Hiver 2011)
It’s a brave move, starting up a new label in these times of quantitative unease, but Dark Tree main man Bertrand Gastaut has really picked a cracker to inaugurate his imprint. As Wire readers will know by now (sorry I can’t always use my Wire reviews here, but you understand..) both baritone saxophonist Daunik Lazro and bassist Benjamin Duboc have recently signed stellar releases on Ayler – the former’s Some Other Zongs and the latter’s Primare Cantus, both of which should already be in your Christmas stocking – and with percussionist Didier Lasserre they make a formidable trio. And that’s formidable in both English and French. All three musicians have serious free jazz chops (I wish someone out there would reissue Lazro’s awesome 1980 hat Hut solo / duo with Jean-Jacques Avenel, The Entrance Gates of Tshee Park), but it’s clear they’ve been doing some serious listening to post-AMM oughties improv: on « une lune vive », patient and meticulous exploration of sustained sonorities and gradual changes in timbre and dynamic have replaced the splatter, clatter and scatter of their earlier work. But there are still plenty of fireworks on « pourtant » – damn, Lazro’s nailed those upper register shrieks and squeaks – attentive pitch play on « les cimes des arbres » and one of Duboc’s wonderfully meaty Haden-y bass solos to start off « retiennent la pluie ». The album title, by the way, comes from a French translation of a haiku by Bashō, and I was toying with the idea of writing a 17-syllable review, but gave up and played the album yet again instead. Great stuff, check it out.

 

 

Chronique par Clifford Allen sur Ni Kantu (24 décembre 2011)
Though perhaps an ongoing concern for French baritone saxophonist Daunik Lazro, it is safe to say that with Pourtant les Cimes des Arbres (Still Treetops) he’s made a record that turns the notion of a saxophone-bass-drums “power trio” on its head. Certainly a number of such configurations have explored range, space, and physicality in nuanced ways before – and they will continue to – but the four improvisations Lazro, bassist Benjamin Duboc and percussionist Didier Lasserre (snare and cymbal only) create are both volcanic and confrontationally essentialist. Each piece’s title is taken from a French translation of a Bashō haiku, meaning shifting line by isolated line. The literary-musical effect is of a stripped-down, workmanlike sublime. The three musicians play with a sense of naturalness that is quite striking as their collective sound increases or decreases in density with the ease of measured breathing; there’s certainly no theme-solos-theme organization, and even traditional go-for-broke power play has been thrown out the window.

The closing “Retiennent la Plue” (Holding the Rain) is a prime example of what this trio is capable of. Starting with throaty pizzicato and bare, ringing cymbal taps in a slightly uneven pulse, Lazro’s purr winds its way around the territorial statements of bass and drums. It’s a trio of parallel advances, each musician loosely tied together and snaking through a veritable rockpile, where confrontation is marked by resonant snaps and scrapes from a minimal kit, generating a charge for the saxophonist’s huskily polished horn. From floor-shaking rumble he builds a stately impasto cry, offset by furious bowed harmonics and brushy accents until the group decides on torqued long tones and declamatory froth.

Lasserre’s kit deserves special mention – playing only a ride cymbal and snare drum, his approach recalls the portable necessity of Sunny Murray and John Stevens without a bop-inflected level of quickness. Lasserre marks time and creates decisive actions that shape the ensemble’s flow in an unpretentious, simple and direct fashion. That said he still gets a range of sounds and kinetics out of minimal instrumentation – witness the unearthliness of rolled sticks on the opening “Une Lune Vive” (The Quick Moon) as they set the stage for microtonal crackle and bellows. Narrowly-defined, tense clusters are worried into a frenzy and released ever so slightly as waves, flutter-tongue and arco approximate the earth along a fault line. Col legno patter, metronomic whine and subtonal sputter become the trio’s language in the piece’s next section with similarly narrow and equally effectual spacing. The power of Pourtant les Cimes des Arbres is in relatively simple iterations of mass and distance, but these are drawn out of three very distinct personalities.

 

 

Chronique par Franpi sur Sun Ship (14 novembre 2011)
On a déjà évoqué le travail de Daunik Lazro ces dernières semaines avec un magnifique disque solo chez Ayler Records. Le saxophoniste, qui utilise majoritairement son baryton, est connu pour son goût immodéré de la Liberté. C’est donc en totale liberté qu’il s’illustre de nouveau en trio avec le batteur Didier Lasserre et le contrebassiste Benjamin Duboc. Ces derniers, habitués à travailler ensemble avec des grands noms de la scène improvisée, comme Joël Grip ou Sato Makoto, ont récemment signé en duo un Primare Cantus –chez Ayler Records également- dont nous reparlerons certainement d’ici la fin de l’année. La rencontre de ce triangle aux angles imprévisibles autant que définitivement saillant est certainement l’un des plus beaux et à coup sur l’un des plus radicaux enregistrement de l’année, dans lequel on pénètre comme on se perd dans l’épaisseur d’une forêt primordiale et quelque peu étrange.
Pourtant les Cimes des Arbres est un titre étrange et percutant qui prend sa source dans un Haïku de Bashô Matsuo qui fut l’un des plus grand poète de l’ère Edo, si riche dans le domaine des Arts. Les poèmes de Bashô, véritables textes graphiques, sont tournés vers l’instant infini où l’épure de la nature est comme capté par un objectif à décentrement. C’est ce décentrement, ce temps suspendu que le trio va investir dans chacun de ses atomes. Il n’y a pas à proprement parler de rythmes, juste des simultanés que la musique étire jusqu’à leurs donner une existence indépendante, comme une profondeur de champs réduite qui fige l’instant au milieu du brouillard des forme et des éclatements de couleur. C’est la batterie de Lasserre, en cherchant la musicalité dans le métal de ses cymbales et la peau de la caisse claire qui illumine l’arrière plan et élargit l’espace tout en désignant avec précision le focus.
Une lune vive.
Pourtant les cimes des arbres
Retiennent la pluie.
Le haiku sonne comme le calme après la tempête, comme une harmonie à trouver entre les éléments. Césuré en quatre morceaux comme pour mieux s’accorder aux palpitations de la nature, la musique du trio, absolument improvisée, s’empare des sons bruts de la Nature, les transcendent et les renvoient à leur propre entropie. La contrebasse craque comme les arbres centenaires dans le vent déchainés d’un baryton réduit à son seul souffle, heurté par le jeu constamment inventif de Lasserre. Assez vite, on pense à des disques comme Äänet dans cette manière d’utiliser le bois de la contrebasse comme un matériel vivant et craquant, comme pour traduire la forêt.
Cette carnation des cordes et leur utilisation très charnelle va devenir l’élément structurant des virulences soudaines qui confrontent le baryton et la batterie, comme le vent se confronte aux feuilles.(« Les cimes des arbres »).
« Une Lune vive », la première partie du Haïku, est le plus long morceau de l’ensemble et consacre Lazro dans cette capacité à donner du relief à une note brute ; son baryton siffle, grogne, explose, visite les aigus les plus perçants sans ne jamais devenir agressif. On le retrouvera dans le dernier morceau, « Retiennent la pluie », soudain rasséréné et redevenu terrestre, trouver une languide harmonie avec ses comparses, comme un apaisement retrouvé dans un rythme naissant.
Pour sa première sortie, le jeune label Dark Tree de Bertrand Gastaut (par ailleur organisateur des Jazz@Home) réussit un coup de maître. On est hanté longtemps par cette musique aussi âpre qu’elle sait être belle ; il faudra surveiller avec intérêt cette nouvelle citadelle des musiques improvisées.
Un disque absolument remarquable.

 

 

Chronique par Guillaume Belhomme sur Le Son du Grisli (27 septembre 2011)
Partis d’un haïku, Daunik Lazro, Benjamin Duboc et Didier Lasserre, ont envisagé une improvisation en quatre temps sur un épais vaisseau dont le bois craque. Le pavillon arboré en appelle au vent et au silence : le baryton n’ose encore qu’une note, la contrebasse est étouffée et la caisse-claire frôlée à peine.

Un balai plus affirmatif sur cymbale, tandis que l’archet perce quelques voies d’eau, fomente un grain que Lazro rejoindra pour le fortifier à coups d’aigus tenaces. Le transport est non pas accidenté mais lunaire, l’équilibre tient de la rencontre d’une atmosphère délétère et de notes sans cesse sur le feu. Jusque-là insaisissable, le chant du baryton se fera mélodique en plus de régler l’allure du trio : c’est déjà le quatrième temps. Celui d’une berceuse qu’un ultime grondement, cri étouffé en saxophone, changera en paysage fantastique formé sous dépression : la conclusion de Pourtant les cimes des arbres est admirable, convenant ainsi à merveille au bel ouvrage qu’est l’enregistrement dans son entier.

 

 

Chronique par Julien Heraud sur Improv Sphere (08 octobre 2011)
Dark Tree est un nouveau label français qui, pour sa première publication, a très bien su choisir ses musiciens. Entendre Lazro, Duboc et Lasserre en même temps que les deux premiers publient un solo chez Ayler tombe à point, c’est en effet l’occasion de découvrir une nouvelle facette de ces musiciens, et pas la plus inintéressante. Inspirées d’un haïku du célèbre poète japonais Basho, ces quatre pièces, bien qu’ancrées dans le free jazz, tentent néanmoins d’aller plus loin et d’explorer de nouveaux horizons.

Si la formation instrumentale est classique, les modes de jeux et les structures le sont beaucoup moins. D’une part, la batterie est réduite aux seules cymbales et à la caisse claire, et le jeu est donc plus linéaire que percussif, plus timbrale que rythmique, et il en va de même pour la contrebasse qui n’assure ni fonction harmonique ni fonction rythmique avec ses sons continus et son archet lyrique. Quant à Lazro, les phrases qu’il développe déploient plus des qualités sonores et énergiques que mélodiques. Il y a donc de nombreux sons continus et linéaires, l’espace n’est que rarement saturé et l’interaction est à tendance symbiotique, mais on retrouve également des moments complètement free où chacun se lance des petites phrases très énergiques sans les développer, où la spontanéité reprend le dessus. Il y a en fait des variations d’intensités et de dynamiques énormes, de la nappe la plus sereine où chacun est en osmose, aux phrases agressives, criardes et puissantes. Le son du trio ne rappelle pas quelqu’un en particulier, mais les structures et le jeu sur les énergies peut tout de même rappeler le trio de Cecil Taylor durant les années 60 et 70, toutes ces pièces où les mouvements de dynamismes et d’intensités guident la structure et la forme de l’improvisation. D’ailleurs, même si ces quatre pièces font souvent appel à l’improvisation et à la spontanéité, les structures semblent écrites et les mouvements prémédités. Mais quelque soit le type d’improvisation (mélodique, libre, timbrale) à l’œuvre, l’interaction entre les trois instrumentistes marche très bien et les formes nouvelles rafraichissent cette tradition qui commence parfois à s’épuiser.

Quatre pièces de free jazz qui tentent de dépasser ce genre en réinventant des formes et en exploitant de nouvelles techniques musicales. Pour sa première référence, Dark Tree a fait assez fort en publiant ce trio aventureux et rafraichissant, libre et intelligent. Car Pourtant les cimes des arbres propose un free jazz créatif, original, sûr de lui, et virtuose; un album aussi plein de délicatesse et de sensibilité, où le fil narratif plonge le trio dans des territoires sinueux et magnifiques, escarpés et poétiques.

 

 

Chronique par Guy Sitruc sur Jazz à Paris (08 novembre 2011)
Premier opus du label Dark Tree avec ce trio : Daunik Lazro (bs), Benjamin Duboc (b), Didier Lasserre (dms) et ce titre étrange « Pourtant les cimes des arbres … ».
Une ouverture quasi électroacoustique. Des rugosités, des régularités industrielles sans qu’on puisse y associer quelque scène que ce soit. Matières sonores entre frottements et clapotis, vombrissements et brisures, claquements et vibrations, cornes de brumes et stridences électroniques, bien des trames sont mises en espace.
Errances acoustiques pourtant liées à une lutherie classique : un sax baryton, une contrebasse et une batterie.
Un voyage inouï d’une inventivité peu commune par trois figures majeures de la musique improvisée.
Mais aussi le sentiment qu’à l’occasion de cette rencontre, il fallait que chacun se dépasse pour converger vers un ailleurs.
Et, comment dire ? Un discours tellement sûr de lui-même qu’il peut effleurer les frontières du free, oser des séquences mélodiques, frôler divers genres esthétiques sans y perdre une once de sa cohérence.
L’exemple peut-être le plus saisissant est donné par la dernière pièce « Retiennent la pluie », une dramaturgie cinématographique, des stridences et des cris qui nous saisissent … et toujours cette exigence du travail sur les matières sonores.
Bouleversant !

Lors d’un précédent post sur ce même CD, l’accent était mis sur l’imaginaire véhiculé. De fait, il pourrait s’écrire plusieurs chroniques n’épuisant pas la richesse de ce discours.

Il est d’usage ici de mettre en ligne des extraits musicaux. Certains vous sont proposés sur le site de Dark Tree. Allez y et profitez-en pour commander le disque et permettre ainsi au producteur, Bertrand Gastaut (à qui l’on doit le cycle de concerts Jazz@Home) de concocter un autre joyau musical.

 

 

Chronique par Rigobert Dittmann sur Bad Alchemy (octobre 2011)
Über allen Wipfeln ist Ruh’? Nicht ganz. Da drüben im winzigen Juillaguet, das ist irgendwo abseits von Angoulême, da rauschen die dunklen Kronen, als wäre der Hundertjährige Krieg noch immer nicht vorbei. Kontrabass, Snare Drum & Cymbals und das Baritonsaxophon von DAUNIK LAZRO kitzeln auf Pourtant Les Cimes Des Arbres (Dark Tree, DT01) die Phantasie mit unheimlichem Raunen und tumultartigem Geschepper. Man hört und sieht, was man sehen will. Wie in dem Rorschachfleck auf dem Cover. Sind da Gesichter von kleinen Glatzköpfen mit wehenden Rock­schößen, von großen bärtigen Knollennasen? Oder nur die zerfetzte Kutte eines Mönchs, in den Schlamm getreten? Der Bassist BENJAMIN DUBOC und der Drummer DIDIER LASSERRE sind ein eingespieltes, ein eingeschworenes Team, im Free Unfold Trio, in Nuts und bei Dubocs großem Primare Cantus (auf Ayler Records). In der Zusammenarbeit der Beiden liegt der Akzent immer auf alt (statt neu), auf Land (nicht Stadt), auf organisch, gewachsen, natürlich (statt urban). Wind wispert in Blättern, Äste knarren, Zweige schaben aneinander oder an verfallenen Mauern. Nicht dass ich diese Improvisationskunst direkt als Programmmusik abstempeln möchte. Aber die Klangpoesie als solche, Titel wie ‘une lune vive’ und ‘retiennent la pluie’ und das Stichwort Basho (1644-1694) unterstreichen den poetischen Anspruch und legen Assoziationen nahe, wie sie auch Haikus des japanischen Meisters evozieren: Schnell ist der Mond // Die Blätter der Bäume // halten den Regen auf. Den Dreien gelingt das Kunststück, das Gemachte so klingen zu lassen, als würde es sich ereignen, sich entfalten. Aber die gebändigte Dramatik gegen Ende der ersten, gut 16-min. Passage ist ebenso bewusst mit Haltetönen, Arcostrichen und einzelnen Plonks ganz intensiv gestaltet, wie die folgenden 4 Minuten damit kontrastieren, wild bewegt und mit waidwundem Röhren bis hin zu schrillen Pfiffen. Lasserre lässt die Cymbals aufrauschen, pocht, tickelt und tokt in vielerelei Nuancen, Duboc schlägt mit dem Bogen, lässt die Saiten schnarren, Lazro schnaubt und summt gedämpft, gilft und blökt dann aber schon im nächsten Atemzug auch wie angestochen. Wildnis pur, viel Raum für kleine Finessen und große Gefühle. [BA 71 rbd]

 

 

Chronique par Richard Pinnell sur The Watchfull Ear (27 octobre 2011)
Tonight’s CD is an album of free improvisation by a French baritone sax / double bass / percussion trio. Its a tense, sometimes aggressive affair and I suspect that at least some of the musicians involved have their roots in jazz. So some readers might like to leave it there for tonight… This is though, a rather nice, varied set of four tracks with a real bite to it and I have enjoyed listening to it a great deal over the past few days. The album in question is the first on a new French label named Dark Tree and is named Pourtant les cimes des arbres, by Daunik Lazro, (baritone sax) Benjamin Duboc (bass) and Didier Lasserre (snare drum and cymbals). The title of the CD, and each of the track titles come from a Matsuo Basho haiku, which is always a good start for any album. With the exception of a few plucked bass notes here and there, and the odd stray sax line, nothing else much on this album sounds like jazz. The final track Retiennent la pluie leans the most in that direction, with more than a hint of loose melody creeping in, but for the most part the sounds produced by the trio impress through their textural and timbal qualities rather than tonal or tuneful, and there is a constant sense of attack here, even in the album’s frequent quieter moments, as the playing feels constantly on a knife edge, and frequently exudes an odd sensation of (in the absence of a better word) nastiness, a kind of dark, menacing edge as rolled cymbals brood into heavy clouds, fierce sax lines roar out of the speakers and bowed bass strings make everything vibrate. The playing is intense, but very much together, subtle and thoughtful- this isn’t an adrenalin fuelled free for all- the structure that holds it all together is quite simple and delicate, but the playing has a real confidence and bite to it that grabs you.

I played this CD in the car a couple of times over recent days. Listening to the music I write about in these pages in the car is very often a fruitless exercise, but this album really worked in that environment, turned up loud and allowed to fill the car’s tight space. When it really kicks off, such as the when the sustained, fierce single sax notes blast through the second track Pourtant, the adrenalin in the music really lifts things in a basic, primal, physical manner. There are plenty of lulls though, little pools of calm between the jagged rocks. The music doesn’t so much build slowly to crescendoes as it suddenly lurches one way or the other, the sense of danger in the album an ever present.

So this isn’t a straight-up jazz album, though it owes its debts in that direction, but it also hasn’t a clue what reductionism might mean, and yet doesn’t sound like your standard improv fair either. Don’t get me wrong, the presence of the acoustic instruments is always obvious, there is no attempt to disguise them or head off into extended technique abstraction, and this is obviously an improvised set, but somehow the energy here feels a little different to the improv I usually come across, with intensity being the word that keeps springing to mind. Its not an album that is going to appeal to everyone. If you like a degree of electronics in your improv, well there isn’t even a sniff here, and if you don’t want to hear the spectre of jazz in there (as I must say I usually don’t) then this disc may not be to your taste, but despite the fact that on paper, this release may not press all the right buttons for me, I found it a very enjoyable listen, a nice introduction (for me at least) to three interesting musical characters and an interesting and captivating diversion from what I normally might be found listening to. Well worth a listen.


 

RADIO

Diffusion en ouverture de Taran’s Free Jazz Hour # 30/2011 par Taran Singh (septembre 2011)
« Beautiful. That’s French improvising music in all its splendor. »

Diffusion dans Taran’s Free Jazz Hour # 32/2011 par Taran Singh (octobre 2011)
« A fantastic, absolutely wonderful trio. »

 

 

Diffusion dans Jazz à Part, Radio HDR, par Pierre Lemarchand (21 octobre 2011)
Le second disque qui nous est offert est la première référence du tout jeune label Dark Tree : « Pourtant les cimes des arbres ». On y retrouve le saxophone baryton de Daunik Lazro en compagnie de la contrebasse de Benjamin Duboc et de la batterie de Didier Lasserre. Des trois aventuriers on n’en attendait pas moins : ce disque est précieux !

 

 

Diffusion dans The Mystery Lesson par Daniel Spicer (04 novembre 2011)

 

 

Diffusion dans Open Jazz, France Musique, par Alex Dutilh (18 novembre 2011)

 

 

Diffusion dans Mix de Nuit : épisode #132, CISM (18 novembre 2011)

 

 

INTERVIEW

 

Si l’on ne présente plus l’essentiel Daunik Lazro, on se réjouit de pouvoir s’entretenir avec lui à l’occasion de la sortie de trois remarquables disques, en cascade : Some Other Zongs (solo, Ayler Records), Pourtant les cimes des arbres (trio avec Benjamin Duboc & Didier Lasserre, Dark Tree Records), Curare (trio avec Jean-François Pauvros & Roger Turner, NoBusiness Records)…

 

Le film (Horizon vertical) que Christine Baudillon t’a récemment consacré s’appuie sur quantité de situations de scène, mais il te montre également beaucoup « aux champs », au contact des saisons et de la nature, dans une sorte de retraite, ou de retrait. Tu sembles néanmoins particulièrement actif, comme en témoignent la salve des trois disques publiés cet automne et les concerts les accompagnant… Comment s’articulent ces deux aspects de ton existence aujourd’hui, concrètement et artistiquement ? Assez peu de concerts mais quelques disques, cela convient à mon organisme fatigué. La route, les voyages, les tournées, le relationnel qui va avec, merci bien, je ne pourrais plus. Des regrets ? À peine. En revanche, vivre à l’écart de la mégapole m’a permis de mesurer l’enjeu de chaque concert et de penser (à) la musique un peu différemment.

 

Les trois disques que j’évoquais forment un intéressant portrait de toi-même – sous trois angles, pourrait-on dire (le solo, le trio délicat, le trio ferrailleur). Quelle urgence leur publication revêtait-elle pour toi ? En quoi témoignent-ils de tes préoccupations esthétiques actuelles ? Ce n’est pas moi qui décide de sortir un disque, mais le producteur qui a suscité ou accepté le projet. La maquette du solo sur Ayler Records, Stéphane Berland l’a immédiatement mise en œuvre. Le trio sur Dark Tree a été voulu par Bertrand Gastaut, on l’avait enregistré en août 2010. Et le trio Curare a trouvé preneur chez NoBusiness Records, après avoir patienté un temps. D’autres musiques auraient pu se faire disquer, il y a eu des projets avortés, la contingence joue son rôle, mais je suis content de ces trois nouveautés. Un beau triptyque.

 

Dans quelles circonstances se sont formés ces deux nouveaux trios (avec Benjamin Duboc & Didier Lasserre ; avec Jean-François Pauvros & Roger Turner) ? Il faudrait demander à Bertrand Gastaut le pourquoi de son désir d’un trio Lazro / Duboc / Lasserre, mais je crois que c’est une bonne idée, au bon moment. Quant au trio Curare, on avait plus ou moins loupé deux concerts il y a… 20 ans ( ?), et réécoutant Messieurs Pauvros et Turner, j’ai eu envie de vérifier si ce trio avait pris de la graine. C’est chose faite.

 

Selon Steve Lacy, se produire (beaucoup, ou trop) en solo, c’est courir le risque de « l’incestueux »… Qu’en penser ? Ah, intéressant ! Si j’avais à jouer en solo quatre jours de suite, ça m’inquiéterait. Comment se renouveler, physiquement et musicalement ? Ressasser les mêmes tournures ennuie tout le monde, moi le premier. Mais inventer du tout beau tout neuf, chaque jour, n’est pas à ma portée. J’ai besoin que la vie s’écoule, que mon désir musical soit revivifié (Ornette Coleman : Beauty Is a Rare Thing). Besoin de me ressourcer À L’ÉCOUTE des musiques d’autrui, surtout.

 

Tu montres, et différemment dans chacun de ces récents enregistrements, tout ton attachement au son en tant que tel, matière que le corps du musicien façonne… bien loin des « artistes du sonore » ou des « physiciens et conceptuels »… Le sage Hampâté Bâ : « Être trop sérieux n’est pas très sérieux ». C’est ce que j’aurais envie de dire à Radu Malfatti, quand j’écoute ses travaux récents de compositeur. Et des impros de bruit ambiant avec quatre beaux sons de trombone à l’heure ne me font pas pâmer. Il est bon, ou légitime, sans doute, qu’il y ait des intellos musiciens, voire théoriciens. Ne serait-ce que pour évacuer la sur-inflation marchande des corps séducteurs et spectaculaires. Tous les musiciens n’ont pas à être des James Brown, heureusement que de la pensée, de l’abstraction, ont (re)conquis droit de cité. L’univers musical ne se réduit pas au FIGURATIF qui « raconte des histoires / peint des paysages ». Mais priver la musique de toute vie organique, de sa chair, relève pour moi de la posture ou de la perversion intellectuelle. Et pue la bourgeoisie blanche. Quant aux godelureaux atteints de boutonnite, qui considèrent les instrumentistes comme des attardés et croient détenir les clefs du musical nouveau, ce sont juste d’ignorants connards. Au-delà du syndrome Malfatti, l’arrivée de la lutherie électro a chamboulé le paysage, en déstabilisant le virtuosisme instrumental : les athlètes du manche de guitare,  les bodybuildés du saxophone s’en sont trouvés ringardisés, et tant mieux. Micros, machines, systèmes de captation et de diffusion sont autant des outils musicaux que piano ou violon. Autre bonne nouvelle : beaucoup d’improvisateurs qui comptent aujourd’hui sont à la fois instrumentistes et « physiciens » du son, récepteurs, émetteurs et transformateurs, hommes de terrain et de labo, musiciens complets.

 

Finalement, que dit la musique ? Parle-t-elle d’autre chose que d’elle-même ? De même que la littérature est un vaste intertexte de livres s’écrivant les uns à la suite des autres (rares sont les auteurs qui ne sont pas aussi et d’abord lecteurs, au moins des chefs-d’œuvre passés), la musique est presque toujours « méta » : Trane a écouté Bird lequel a d’abord imité Lester. Toute musique est « cagienne » en ce qu’elle se nourrit des musiques d’avant, d’autour et d’autrui. En même temps, la musique ne dit rien mais est BRUISSANTE de l’état du monde, inévitablement. Fables of Faubus épingle un salaud mais tout Mingus évoque l’Amérikkke de l’apartheid. (À chaque auditeur de faire avec ce qu’il entend.)

 

A la sortie du film de Baudillon, en début d’année, j’ai été frappé que si peu de journalistes ne tentent (épargnons celui qui s’y est grossièrement essayé dans Jazz Magazine) de mettre en rapport tes propos sur drogue, astrologie et musique… A mon sens, ces trois pratiques (ou modes d’appréhension du monde) ont trait au Temps et aux façons de s’y soustraire, de l’envisager selon d’autres échelles, d’échapper à sa gravitation… Que Jazzmag ait expédié, pour ne pas dire exécuté le DVD, m’a attristé. Que de grands pros (qui suivent mon travail depuis trente ans et souvent l’ont apprécié) n’aient pas jugé bon d’accuser RECEPTION, révèle que ce film ne leur a pas montré ce qu’ils auraient aimé y voir.  En attente d’un documentaire circonstancié, ils n’ont pas « vu » le film ou ont résisté au malaise qu’il instaure. Christine Baudillon ne s’appelle pas (encore) Tarkovski ou Rivette, soit. La musique, par essence art du Temps. Elle donne à ressentir son écoulement, qui peut aussi le perturber, le dilater, le figer, le dissoudre, voire le multiplier ; conduire à la transe, à l’extase… Comme sont aptes à le faire certaines substances, haschisch et hallucinogènes en tête. Relation passionnante qu’on trouve incarnée dans le chamanisme et dont moult auteurs ont traité, à commencer par Baudelaire, Huxley, Michaux, Castaneda. L’astrologie, elle, même fréquentée de loin, permet d’approcher une connaissance de soi qui se déploie au cours de la vie, processus dynamique comme peut l’être une psychanalyse. Surtout, elle amène à considérer les cycles planétaires dans leur interdépendance, donc une pluralité de temps (de tempi, de rythmes, d’allures, de trajectoires…), chacun différents mais qui fonctionnent « ensemble », coexistent dans le temps cosmique. Pas mal pour penser le temps musical en sa complexité.

 

Daunik Lazro, propos recueillis en novembre et décembre 2011.
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Photographies : @ Christine Baudillon


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